Comment l'esprit vient aux filles et autres contes libertins de Jean de La Fontaine
Mise en scène : Eurydice El-Etr
Avec : Tania Tchénio
Festival d'Avignon 2009
Création au théâtre du Verbe Fou
Les Contes et nouvelles en vers de Jean de La Fontaine ont connu un destin tourmenté : censurés pour immoralité au moment de leur parution (une condamnation par le Procureur du roi en 1675), en butte, au fil des siècles, aux critiques les plus diverses, ils sont aujourd'hui tombés dans un relatif oubli, au regard des très institutionnelles Fables.
Le recueil est pourtant fascinant, par le ton général et la variété des personnages qui font de chaque conte une variation toujours nouvelle sur le thème du plaisir. Une galerie d'hommes et de femmes de toutes origines, de toutes tailles et beautés, paysans, princes ou gens d'église, également animés par un invariable penchant au plaisir physique.
Le sujet est licencieux certes, les double-sens sont légion, et l'inventivité verbale toujours renouvelée ; sans cesse affleurent, dans ces vers, des échos de poèmes érotiques latins ou grecs, de contes grivois – français ou italiens – des 14e et 16e siècles Mais on est loin de la sensualité des vers de Catulle, du ton précieux de l'Heptaméron, ou, a fortiori, des jeux raffinés du 18e siècle. Les personnages ont ici quelque chose de brut, d'animal, quelque chose de cette innocence joyeuse et naïve du Décaméron de Boccace que La Fontaine admire tant. Innocence, même au beau milieu des ruses et tromperies qui, comme dans les Fables, sont légion : car jamais un jugement moral n'est porté sur les larcins d'amour.
Pour l'acteur, ces personnages pleins de sève sont une aubaine : d'abord cette pulsion joyeuse, qui engage tout leur être, cette fougue avec laquelle ils plongent dans le plaisir exigent de la part de celui qui va leur donner vie une énergie et une précision rythmique proprement jouissives. Et puis, ces hommes et ces femmes surgissent des vers de La Fontaine déjà dotés d'une telle épaisseur, d'un rythme, d'une couleur si particuliers qu'il semble qu'ils appelaient un corps où s'incarner.
Il m'a paru intéressant de faire interpréter l'ensemble de ces personnages par une seule actrice. L'occasion de travailler sur la métamorphose, sur l'éclosion, à partir d'un même corps, de plusieurs autres corps, tous singuliers et contrastés. Travail physique, travail vocal, travail rythmique. L'occasion aussi de chercher, pour rendre la vitalité de ces personnages, du côté des comiques, du dessin animé, du one man show.
Mais le liant de cette galerie de personnages est bien entendu le conteur – la conteuse ici. Présence particulièrement marquée dans les trois textes qui composent ce spectacle : « Comment l'esprit vient aux filles », « Pâté d'anguille », « Le faiseur d'oreilles et le raccommodeur de moules ». Personnage plein d'humour, de verve, mais surtout d'un bon sens amant de la vie, il annonce, met en scène, commente, plaisante, sautant par-dessus la rampe pour s'adresser directement au lecteur. La proximité avec le lecteur appelle une proximité avec le public, par le biais de clins d'oeil, de devinettes, comme celle qui ouvre « Comment l'esprit vient aux filles », ou, dans le même conte, d'exclamations : « Lise (...)/ s'en retourne en songeant à cela. Lise songer ! quoi déjà Lise songe ! ».